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Fiche éclairage n°6 Regard critique sur les compétences clés énoncées par l’Union européenne |
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Une finalité ambivalente
Le cadre de référence européen compétences clés est à la fois l’expression et le vecteur d’une idéologie complexe. Il faut en quelque sorte faire d’une pierre deux coups : construire un monde dans lequel chaque individu s’épanouit, s’engage et réussit (idéal humaniste consubstantiel aux racines historiques du libéralisme) tout en produisant la main d’œuvre adaptable et flexible dont l’appareil productif a besoin (au risque de voir l’Homme, pour des raisons économiques, devenir un moyen au lieu d’une finalité).
Pour ce faire, tout individu devrait être détenteur des huit compétences clés « nécessaires (…) pour l’épanouissement et le développement personnels, la citoyenneté active, l’intégration sociale et l’emploi »1. L’éducation et la formation tout au long de la vie, en Europe, auraient alors pour mission de faire acquérir et d’entretenir ce bagage minimum, condition indispensable à la réussite et au bien être individuels et collectifs.
Questions soulevées
D’un point de vue humaniste, le risque est de voir la balance pencher fortement du côté économique. Pourtant, l’absence de contenus et d’objectifs pédagogiques clairement définis offre une réelle opportunité de préparer les personnes à agir de façon autonome dans leur environnement, ce qui leur donne de meilleures chances de réalisation personnelle.
Tout cela fait néanmoins émerger de multiples questions :
- La systématisation d’une formation basée sur les compétences clés peut apparaître comme un moyen de pallier les défaillances d’un système éducatif initial qui laisse sortir, en France, plus de 150 000 jeunes par an sans diplôme, en leur proposant un plan de rattrapage minimal à bas coût.
- Elle porte en germe une plus grande ouverture de la sphère de la formation à la marchandisation. Parler « compétences » permet en effet de se démarquer des savoirs et des systèmes académiques. On risque alors de voir réduire l’éducation et la formation à des besoins à court terme, limités à ceux du travail (cf. besoins des entreprises).
- Actuellement les certifications reposent sur un socle de savoirs et de savoir-faire, fondement des conventions collectives.
L’introduction des compétences clés oblige à repenser ces dernières et à élaborer un nouveau fondement construit sur les compétences.
- Sans cadre sociétal clairement défini, le développement d’un système de formation basé sur les compétences clés peut aussi permettre de basculer d’une conception partagée (entre employeur et salarié) de la responsabilité de l’employabilité à une conception individuelle : la personne devient seule responsable du développement de ses compétences.
Quelle posture pour le formateur ?
Le formateur joue dans ce contexte un rôle primordial : il est à la fois agent de développement au service d’un environnement économique mais aussi agent d’éducation. Le cadre européen de compétences clés génère certes des contraintes dans l’exercice de son activité du fait de l’organisation en huit domaines de compétences clés. Mais il donne également au formateur une marge de manœuvre dans l’exercice de sa liberté pédagogique, dans la mesure où la communauté européenne laisse aux états membres le soin de l’application de la recommandation2.
En particulier, c’est l’occasion d’inventer des formes pédagogiques permettant de développer en priorité les compétences clés du domaine 5 « Apprendre à apprendre ».
Cette ingénierie pédagogique impose toutefois un questionnement préalable :
- Quel homme de demain le formateur veut-il contribuer à former ?
- Quelles formes pédagogiques mettre en place pour arriver à ces fins ?
- Comment ne pas exclure certains savoirs du champ des compétences clés ?
Comment contribuer à un développement équitable (pour tous) de toutes les compétences clés ? Il s’agit de donner du pouvoir cognitif aux apprenants, développer leur relation de savoir au monde et leur autonomie en développant leur prise de conscience et en leur fournissant des outils cognitifs d’analyse et de choix, voilà, pour les acteurs de l’éducation et de la formation tout au long de la vie, une formidable occasion d’accompagner la performance tout en exerçant leur devoir d’humanité. Cela passe par une ingénierie et une animation réfléchies permettant d’accompagner la construction d’outils de pensée par les apprenants.
Informations complémentaires
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1. Définition extraite de : les Compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie – Un cadre de référence européen
2. Recommandation du parlement européen et du conseil du 18 décembre 2006 – L 394/11 - article 14
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