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Le guide compétences clés : une production située, encadrée par des options théoriques
Résultat d’un processus d’élaboration ayant mobilisé le travail d’individus singuliers dans un cadre institutionnel donné, le guide compétences clés est lui-même situé dans un environnement socio-historique déterminé. Cette page vise à donner aux utilisateurs du guide un aperçu synthétique du cadre théorique 1 qui sous-tend et oriente ses contenus, tout en garantissant leur cohérence. Ainsi, les principes socioconstructivistes qui arment les fondations du guide ne procèdent pas d’une chimérique vérité universelle, immuable et absolue. Ils sont directement reliés à certaines options, négociées et partagées entre les membres du comité scientifique – vigilant gardien de la rigueur et de la cohérence recherchées – et le collectif de rédaction 2.
Lorsqu’il est question de développement de l’individu
La compréhension du développement qui anime ce guide s’appuie en particulier sur les ensembles théoriques produits par Lev Vygotsky, psychologue soviétique de la première moitié du 20e siècle, et Gilbert Simondon, philosophe français du milieu de ce même 20e siècle.
La relation avec l’œuvre de Vygotsky réside dans l’idée suivante : on ne peut à la fois considérer le vivant comme un système ouvert, et étudier son développement comme une unité isolée dont le devenir serait fondé sur des composants internes définis une fois pour toute. Dès sa naissance, l’enfant interagit avec des objets qui lui sont proposés par des parents et des éducateurs intentionnés, dans des environnements socio-historiquement situés. Pour construire ses capacités, il bénéficie ainsi des progrès de l’espèce humaine mis à sa disposition dans des situations d’apprentissage. Cette observation a conduit Vygotsky à affirmer que l’apprentissage précède le développement. L’ "éducation jouant un rôle de tout premier plan" (A Rivière, 1990) dans le devenir de la personne, le développement des fonctions psychologiques supérieures est inter-psychique. La pensée est instrumentée dès l’origine de la vie en passant par l’organisation socio-historique du réel. D’une entrée par le sujet, on passe alors à une entrée par l’environnement, envisagé sous l’angle de ses formes culturelles artéfactées (objets techniques, etc.) et symboliques (langage, représentations, etc.).
Tout cela met en lumière deux axes majeurs de la conception de Vygotsky. Premièrement, si l’être humain est un système ouvert, alors le développement des fonctions psychologiques supérieures est à la fois écologique, individuel et social. Il ne peut être étudié indépendamment de l’activité que l’être humain exerce, seul ou en coopération avec d’autres – ses parents, ses pairs et toutes les personnes qui interviennent dans son éducation –, sur des objets mis à sa disposition dans un environnement spécifié. Deuxièmement, l’état final du système – c'est-à-dire l’être devenu individu – ne peut être prévu à partir des données initiales internes du système. Il faut le penser relativement aux dynamiques initiées par le couple être humain / environnement (humain et non humain).
En inventant les outils de sa survie et de son adaptation au monde, l’homme crée ses propres structures internes. Aussi, la construction des capacités humaines se lit selon deux plans articulés que nous qualifierions aujourd’hui d’auto- et d’éco-poïétiques (la poïétique a pour objet l'étude des potentialités qui, inscrites dans une situation donnée, débouchent sur une création nouvelle). Parler du développement de l’être humain c’est donc parler à la fois d’individuation (process par lequel l’être devient individu), et de socialisation (processus par lequel il devient le sujet singulier d’une culture particulière).
Cette approche du devenir du "petit d’homme" (expression de J. Bruner), développée par Vygotsky, conduit ensuite à se rapprocher des travaux de Gilbert Simondon. Pour lui, le vivant n’est pas résultat d’individuation, mais avant tout théâtre d’individuation. Ce point de vue, comme celui de Vygotsky, s’oppose à la voie substantialiste qui borne le développement à l’existence de caractères prédéfinis figurant l’identité de l’être constitué.
La thèse donne alors toute sa place et son étendue à la notion de relation qui n’est plus définie par ses pôles (l’individu d’un côté, son environnement de l’autre) mais par le champ de forces que cette relation initie. Elle indique que l’histoire de l'individu est une résolution évolutive des tensions qui s’exercent dans le champ que constitue le couple structurel Individu / Environnement. Le développement est une organisation des potentialités qui émergent de ces tensions. Cela n’épuise pas pour autant les potentialités. Comme le dit A. Prochiantz, "C'est donc dans le cadre défini par l'appartenance à l'espèce que se parcourt, à travers l'infini des possibles, le chemin qui mène de l'homme en puissance à l'homme en acte, chaque nouvelle étape de cette actualisation sans fin ouvrant elle-même sur une infinité de réalisations ultérieures (…)".
Ainsi les deux ensembles théoriques mentionnés s’articulent pour former une image cohérente de l’individuation et du développement humain. Ils sont tous deux fondés sur le nécessaire dépassement des conceptions dualistes – disjonction de l’être et de la nature – et sur l’idée que le développement n’est pas immanent à une organisation interne d'ordre biologique qui se différencierait selon les effets de l'action (un tel point de vue est défendu par Piaget à l’époque où Vygotsky esquisse les orientations de son projet théorique).
C’est bien parce que le petit d’homme naît inachevé dans un collectif organisé qu’il va pouvoir jouer son devenir d’humain, en accédant aux "acquis" que l'humanité a stockés. Son devenir de personne singulière passe donc par l'accès aux signes que sont les symboles, le langage, les nombres, les connaissances, les formes rationnelles de pensée, et par l’appropriation des objets techniques.
Cependant, ces éléments ne lui sont pas immédiatement et directement accessibles. Leur appropriation requiert l'intervention de médiateurs humains qui organisent le champ selon leur projet de lui faire apprendre. Le développement est donc non seulement social mais contextualisé, c'est-à-dire relatif aux espaces de sens ouverts par les médiateurs et les situations qu’ils organisent en vue des apprentissages requis par le collectif humain. De plus, selon les caractéristiques des situations sociales, éducatives et formatives vécues qui initient des dynamiques particulières de relation être humain/environnement, les personnes "s’individuent" de manière particulière en construisant du monde des systèmes d’intelligibilité particulière. Du fait de dynamiques structurelles environnement/sujet particulières, les affordances de l’environnement n’impactent pas les personnes de la même manière.
À propos du savoir
Entre connaissance et savoirs, nous n’établissons pas de différence de nature mais y voyons des qualités différentes : du plus intime au plus social, du plus phénoménal au plus objectivé, du plus imaginaire au plus rationnel… Ce point de vue revêt une importance capitale pour la construction des situations pédagogiques. Ainsi indiqués, il n’est plus possible, en effet, d’entretenir la dichotomie entre savoirs des élèves et savoirs des savants : il n’y a que des savoirs en jeu dans des situations cognitives vécues sur des modes différents. Il ne s’agit plus d’opposer mais de confronter. C’est dans cette affirmation que s’argumente le principe retenu d’élève actant les apprentissages qui lui sont proposés par l’environnement en général, l’école et la culture en particulier.
Jouons avec les mots : co-naître, naître avec… le terme indique que ce processus qui commence en vue de poser des significations est le fait d’une relation entre un sujet connaissant et un objet à connaître. La connaissance advient en situation, elle se constitue. Elle est une manière de résoudre les tensions qui s’exercent pour le sujet dans les situations, de convertir des informations, de les organiser, de les signifier. Aussi, les connaissances qui émergent en situation sont souvent riches de bien d’autres éléments que les objets à connaître : elles sont chargées des enjeux relationnels, affectifs, sociaux et identitaires que comportent les situations pour lui. De ce point de vue, la connaissance est une transaction. C'est dans ce rapport d’information réciproque et situé, instauré entre le sujet et le réel qui l'affecte, que se jouent les événements cognitifs et se construit le savoir.
La connaissance est donc un processus continu au sens où "les informations émergent de manière permanente des activités cognitives actualisées en situation, informations qui fournissent des interprétations contextuelles du monde dans lequel l’individu est immergé". (M. Sorel 2004).
Le savoir est une connaissance stabilisée. Le "penser" se pose, les informations se sont organisées… La connaissance s’est édifiée. Elle est devenue savoir et, à ce titre, devenue dicible, partageable et communicable. Devenant "substance", elle devient information à transmettre, à donner, à apprendre à d’autres. Le savoir a donc ceci de plus que les connaissances intimes : il correspond à une intelligence sociale et partagée des choses.
D’une certaine manière, les savoirs ferment les dynamiques cognitives sur des unités d’intelligibilité stables. Ils ne sont pas une abstraction des propriétés de l'objet mais "une construction, une diction qui rend compte de la manière dont la personne qui connaît est en relation avec son monde" (M. Sorel, 2004). Ils contribuent ensuite à libérer de nouvelles potentialités et à relancer les dynamiques de signification. Le savoir, tout comme les connaissances, est une relation qui circule entre la personne, l’activité, le monde, le rapport à soi et le rapport aux autres (B. Charlot, 1997). Les savoirs "savants" n’y échappent pas : il n’est de vérité scientifique que validée par une communauté scientifique qui contrôle le travail, la méthode et les circonstances dans lesquels celle-ci a pu être établie.
Si donc la connaissance est intime, fluide, sous le primat de la subjectivité, le savoir est sous le primat de l’objectivité (J-M. Monteil, 1985). Pour autant, et il importe que les apprenants le réalisent, il demeure subordonné à l'action de connaissance telle qu’engagée par une personne ou un collectif dans des situations particulières. Pas plus que la connaissance, le savoir ne peut être conçu comme un absolu qui préexisterait au couplage Environnement / Sujet qui le constitue.
Ceci permet de réaliser que la nature du rapport de connaissance engagé avec le monde diffère selon les personnes et les collectifs engagés dans des activités de productions de savoirs. C’est le même monde qui est regardé mais, selon que l’action de connaissance est vécue selon un mode pratique ou théorique, ce ne sont pas les mêmes choses qui sont vues. On réalise ainsi que le rapport entre la théorie et la pratique n’est pas un rapport d’application : la connaissance circule entre posture théorique et posture pratique. Il faut penser pour agir autant qu’agir pour penser. Le passage à la pratique suppose la production de cognitions originales propres aux tensions vécues et aux effets de transformation recherchés.
Aussi, moins que des "objets" à mobiliser, à manipuler, à apprendre ou à stocker, ce qui est en question dans la construction des savoirs est la consistance des situations dans lesquelles les savoirs "déjà là" sont à actualiser.
À propos de l’environnement
Les lignes qui précèdent marquent l’omniprésence de l’environnement dès qu’il s’agit de rendre compte des connaissances ou du développement. Mais de quoi parle-t-on ?
L’environnement est parfois désigné comme une toile de fond globale. Il peut, à l’inverse, être refermé sur des espaces circonscrits à certains éléments isolés, organisateurs de microenvironnements : la famille, l’école, les relations de travail… Dans les deux cas, le risque majeur est que, devenant objet et substance, il ne soit plus considéré dans sa dimension active et réactive.
Jusqu’au début du 20e siècle, le terme est assez peu usité et les définitions académiques qui en sont données font de l’environnement "ce qui entoure", ce qui est à l’entour, autour… En 1921, l’environnement désigne "l’ensemble des éléments et phénomènes physiques qui environnent un organisme vivant, se trouvent autour de lui".
Dans les années 1960, l’espace sémantique s’enrichit de deux dimensions conséquentes. Premièrement, les éléments constitutifs ne sont plus seulement des éléments physiques. Deuxièmement, ils ne sont plus seulement un entour, ils sont désignés comme agissants. Par environnement, il est donc entendu l’ "ensemble des conditions naturelles et culturelles susceptibles d’agir sur les organismes vivants et les activités humaines".
Ces définitions qui font de l’environnement une réalité objectale, distincte et à distance de l’être humain, encouragent l’idée de discontinuité entre l’homme et son environnement. D’où l’intervention de la notion de pôle (de la relation). Le risque majeur à partir de là est de s’en saisir en extériorité et de le modéliser à partir de ce que les catégories fournies par notre raison peuvent en distinguer…
De plus, selon les définitions données, l’environnement est à la fois "natura naturans" (la nature telle qu’elle se fait, dans sa diversité et sa multiplicité…) et "natura naturata" (la nature artéfactée, celle que l’humain organise du fait de ce que les sciences ont formalisé de la nature…) 3. La difficulté consiste alors, pour préserver la complexité de l’ensemble, à ne pas focaliser la réflexion sur l’une ou l’autre de ces deux dimensions. L’environnement est nécessairement multifactoriel et enchevêtré : à la fois naturel et artéfacté, à la fois humain et non humain, à la fois matériel et symbolique, espace territoire et paysage.
La question est donc celle de l’articulation de ces différents éléments entre eux. Les sciences "démontent" l’environnement en autant d’unités distinguées que de regards et de systèmes posés sur lui. Les savoirs constitués en figurent des abstracts et des réductions. L’homme, lui, pratique et affronte "au corps à corps" l’ensemble enchevêtré, qu’il en ait conscience ou non. On doit donc s’interroger sur ce qui se joue de cet enchevêtrement et de cette complexité dans les situations d’apprentissage et de formation.
Bien sûr, cet "ensemble des conditions naturelles et culturelles" existe indépendamment des individus singuliers qui l’habitent et s’y déploient. Mais la dynamique évolutive de ces derniers est le fait de relations articulées et solidaires avec l’environnement. De ce point de vue, formaliser l’environnement, c’est affronter le problème du couplage structurel Personne / Environnement, de son caractère dynamique et mouvant. C’est rendre compte de ce qui lie l’extérieur, lequel existe dans sa réalité propre, et la ou les personnes(s) qui y sont intégrées. L’environnement est en même temps ce qui affecte les personnes et ce qui est affecté par elles. Il constitue avec le vivant, dont les humains, un ensemble relationnel insécable et dynamique. Aussi l’environnement ne se limite pas à sa dimension matérielle, physique et écologique, ni aux potentialités que les dynamiques interactives libèrent. Il comporte une dimension phénoménale, correspondant à des données émergentes et contextuelles 4, qui se déploie sous l’effet du maillage Personne / Environnement.
À propos des situations de formation qui ne traitent pas de ces intelligibilités
Les situations d’enseignement ou d’instruction contribuent à faire du savoir un ensemble de choses que l’on peut ranger en catégories : savoirs, savoir-faire, savoir-être… Les savoirs sont à leur tour rangés dans des catégories disciplinaires. Ils sont le plus souvent abordés de manière partielle et locale selon des ensembles définis par les programmes ou les référentiels d’évaluation. Leur mise à disposition est subordonnée à leur organisation académique, en même temps que leur appropriation est bornée par les situations d’apprentissage et les manières cognitives des enseignants ou des formateurs. Cette "pétrification" des savoirs est renforcée par le passage à la logique des compétences. En pointant que les savoirs ne font pas faire, cette logique leur fait perdre valeur et intérêt, au point qu’ils ne sont plus identifiés comme possibilités d’intelligibilité, qu’ils sont de plus en plus tenus à distance.
L’environnement quant à lui n’est pas pensé. Il est regardé, référé à ses propriétés… C’est un autre monde dont l’existence cognitive est ignorée au profit de son approche pragmatique. Faire sans comprendre n’est plus un problème depuis que trop d’informations ont rendu inaccessible la culture humaniste.
De ce fait, les savoirs et les informations en jeu dans le rapport environnement / sujet ne sont pas activés dans la continuité des apprentissages réalisés à l’école. C’est comme si coexistaient deux mondes :
- d’un côté les savoirs, joyaux éternels dont la beauté réside autant dans l’éclat que dans la capacité à résister à l’épreuve du temps. Posés comme des a priori, ils sont de fait disjoints des situations cognitives et des collectifs, des activités dans lesquels ils ont émergé. Ils ont perdu leur réalité phénoménologique.
- de l’autre des formes qui ne manifestent que des aspects d’usage des savoirs, sous forme d’objets techniques à maîtriser, de procédures, de modules d’action ou de modes opératoires.
La disjonction est telle que, souvent, les enseignants/formateurs ne perçoivent plus les enjeux de savoir des "contenus enseignés". Ces derniers leur sont présentés sous la forme de compétences à produire, encourageant chez les apprenants une vision instrumentale des savoirs à consommer.
Les apprentissages sont lancés indépendamment d’une réflexion sur les processus de connaissance. Ils sont dominés par l’idée que les savoirs sont des choses a priori, qui existent indépendamment des personnes, de leur activité de connaissance et des situations. Ils sont absolus, certains : c’est un bien qu’il convient de s’approprier et de capitaliser.
En corollaire les activités d’apprentissage ne sont pas vécues comme des activités de construction de savoirs. Il est question d’appropriation des savoirs ou de construction de connaissances… Les savoirs savants sont maintenus en dehors du process de construction. Au mieux il s’agit de les faire reconstruire en tant que connaissances privées pour un usage privé. Apprendre c’est prendre, stocker en vue d’une évocation ultérieure. Il s’agit moins de comprendre le monde que d’apprendre les savoirs qui valent pour la place qu’ils permettent d’occuper.
Souvent ceux qui "réussissent" sont ceux qui savent passer d’un environnement à l’autre, sans toutefois en maîtriser nécessairement les différences ou actualiser les catégories et opérations d’intelligibilité.
De la question du rapport au savoir
La question du sens que l’on peut accorder à l’apprentissage des savoirs est donc celle du système de sens dans lequel le savoir prend sens : le savoir a-t-il valeur pour ce qu’il satisfait des besoins d’intelligibilité des phénomènes (valeur épistémologique) ou pour ce qu’il permet : éviter une punition, être aimé, avoir un beau métier, occuper une place sociale, gagner de l’argent (valeur instrumentale) ?
Il ne suffit donc pas pour savoir ce qu’une personne sait, de se saisir des signifiés qu’elle a établis. Il convient aussi et surtout de réaliser la manière dont elle les a établis. Cela suppose de s’approcher des situations dans lesquelles les apprentissages et les constructions de sens ont eu lieu et donc de s’approcher de l’histoire de la personne, de ses attentes, de son sentiment de compétences, de ses conceptions de l’apprendre, du connaître…
Les activités cognitives des apprenants sont parasitées par les différents paradoxes et interdits de penser qui minent les lieux d’éducation et de formation. Les apprenants sont tenus à l’écart des fondements de la connaissance et invités dès lors à apprendre en ignorant les enjeux de leurs apprentissages. D’un côté il est affirmé que connaître c’est produire une pensée (Anzieu, 1994) capable d’affronter l’univers, la vie, le chaos et l’incertain (Morin, 1986) ; c’est circuler, se laisser déphaser par les tensions ressenties (Simondon, 2007). De l’autre l’éducation vise le certain, les produits finis. Jamais ou rarement – et c’est alors souvent bien tardivement – il n’y est question des personnages vivants que sont les savants, scientifiques ou philosophes, qui pratiquent la science et la pensée dans leurs laboratoires ou dans leurs boudoirs 5, de la "science-en-train-de-se-faire" (B. Latour, 2007).
D’un côté il est souhaité des personnes susceptibles d’affronter le réel et de résoudre les problèmes émergents dans le système Personnes / Environnement. Il est alors question de compétences. De l’autre on expose – comme on expose au soleil – les apprenants aux savoirs… et on s’étonne que le bronzage ne résiste pas au temps. On leur fait gober des "savoirs en miettes" tout en leur reprochant de "zapper".
Ce qui est à éduquer, c’est donc le rapport de savoir au monde et non la capacité de prendre et stocker de l’information. C’est "l’apprendre entre l’ordre et le chaos" (G. Clergue, 1997). Ceci n’est possible que si les constructions de savoirs et de compétences sont envisagées dans le contexte du maillage Personnes / Environnement.
Des orientations pédagogiques qui se profilent
Pour aider l’apprenant à se penser en tant que sujet-connaissant-en-devenir 6 et comme unité articulée Personne / Environnement, l’enseignant/formateur doit penser son intervention selon différentes orientations solidaires les unes des autres :
- éviter toute forme d’exposition "solaire" aux savoirs (cf. le bronzage qui ne tient pas)
- rendre visible l’articulation entre les savoirs, les situations de formation et l’environnement ; donner aux apprenants la possibilité de circuler entre ; rendre possible la projection du "micro" (les situations pédagogiques) dans le tout signifié des environnements projetés. L’enjeu est de rendre les personnes capables d’affronter les dynamiques cognitives et évolutives Personne /Environnement.
- penser l’environnement comme un allié, adopter un principe de continuité et éviter, dans le montage des situations didactiques, des pertes environnementales qui deviennent des failles.
- apprendre à se saisir des questions de savoirs en jeu dans la fréquentation du réel – y compris les savoirs savants comme résolution de tensions.
- faire du savoir un "objet" de réflexion et de formalisation : il s’agit de conduire les formés à vivre leur pouvoir cognitif et, au-delà des enjeux de savoirs et de connaissances, de travailler au déploiement des activités cognitives.
- faire vivre le rapport théorie/pratique sous l’angle d’une alternance de vécus théoriques et pratiques au réel.
L’enjeu est bien, et avant tout, de laisser des espaces de liberté à la cognition.
En cohérence avec ce cadre théorique, une représentation de la situation de formation est proposée sous forme d’un schéma commenté. La situation de formation : un système à la recherche de son équilibre, M. Sorel
Eléments de bibliographie
Anzieu D. (1994). Le Penser, Du Moi-peau au Moi-pensant. Paris : Dunod.
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Beillerot J. Blanchard-Laville, Cl. Mosconi, N. (1996). Pour une clinique du rapport au savoir. Paris: L’Harmattan.
Bruner J. (1990). Car la culture donne forme à l’esprit. Paris : ESHEL.
Charlot B. Bautier, E. Rochex, J-Y. (1992). Ecole et savoir dans les banlieues …et ailleurs. Paris : A Colin.
Charlot B. (1997). Du rapport au savoir, éléments pour une théorie. Paris : Anthropos.
Latour B. (2007). L’espoir de Pandore Pour une version réaliste de l’activité scientifique. Paris : La Découverte. Cambridge, Harvard University Press, 1999.
Lesne M. (1996). Modes de travail pédagogique et formation d’adultes. Paris : L’Harmattan (1re édition : 1977)
Morin E. (1986). La méthode, la connaissance de la connaissance. Paris : Les éditions du Seuil. Coll. Points.
Morin E. (1999). La tête bien faite, Repenser la réforme, Réformer la pensée. Paris : Seuil.
Moser G. Weiss K. (2003). Espaces de vie Aspects de la relation homme-environnement. Paris : Armand Colin.
Piaget J. (1970). L’épistémologie. Paris : PUF, coll. "Que sais-je ?".
Not L. (1988). Les pédagogies de la connaissance. Toulouse : Privat
Prochiantz A. (1995). La biologie dans le boudoir. Paris : Odile Jacob.
Rivière A. (1990). La psychologie de Vygotsky. Liège : Pierre Mardaga éditeur.
Schlanger J. (1978). Une théorie du savoir. Paris : édition Jean Vrin.
Simondon G. (1989-2007). L’individuation psychique et collective. Paris : Aubier. Philosophie
Simondon G. (1989-2005). L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information. Grenoble : Million.
Sève L. (2000). Marxisme et théorie de la personnalité : retour sur la genèse d’un livre. Éducation Permanente. N°142. p11-25.
Sorel M. (sous la direc.) (1994). Pratiques nouvelles en éducation et en formation. Paris : L’Harmattan.
Sorel M. (1998). La compétence : une certaine qualité des relations (environnement-sujet). in Libérer les compétences. Écrits de BUC : actes du colloque, mars 1998, 43-58.
Sorel M. / Wittorski R. (2005). La professionnalisation en actes et en questions. Paris : L’harmattan
Varéla F. (1989). Connaître. Paris : Seuil.
Varéla F. (1993). L’inscription corporelle de l’esprit. Sciences cognitives et expérience humaine. Paris : Seuil.
Vygotsky L. S. (1985). Pensée et Langage. Paris : Editions Sociales, collection terrains, 1re édition 1934.
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1. Ce condensé puise sa substance dans un article de Maryvonne Sorel, membre du comité scientifique de conception du guide compétences clés. Cet article a été publié en 2008 dans la revue du CERFOP.
2. Se reporter à l’onglet "Contributeurs" pour en connaître la composition.
3. Larrère C et Larrère R. (1997). Du bon usage de la nature ; Pour une philosophie de l’environnement. Paris : Alto Auher.
4. Contexte est à prendre au sens de zone d’interface entre l’homme et le réel dans lequel il vit…
5. Alain Prochiantz (1995) définit le boudoir comme l’espace "entre la chambre et le salon", "entre le monde du rêve et celui de la pure logique".
6. Cette écriture est une intention de signification.
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